Élection Suriname : à quoi s’attendre ce dimanche ?

Paramaribo, 25 mai : À l’approche des élections générales de ce dimanche au Suriname, l’incertitude est à son comble. Les informations fiables sur les intentions de vote sont rares et incomplètes. Les rares données disponibles proviennent de sondages locaux, notamment dans le district de Commewijne — le troisième plus peuplé du pays — où la coalition NDP+ est donnée en tête. Toutefois, ces chiffres sont à manier avec précaution : ils ne reflètent qu’une région et ne permettent aucune extrapolation nationale.
Jennifer Geerlings-Simons, figure montante du NDP et successeure de Dési Bouterse, a même déclaré dans Volkskrant que ces sondages seraient un écran de fumée. Elle a même dénoncé un climat de méfiance envers l’administration actuelle :
“En fait, je pense que le gouvernement prépare une fraude massive et publie maintenant un certain nombre de soi-disant sondages pour étayer les faits plus tard.”
Lors d'un point presse à la sortie de son bureau de vote, le président sortant, Chan Santokhi a tenter de rassurer les électeurs quant au nouveau mode scrutin :
"Pour la première fois, les électeurs constateront que c'est une très bonne formule. Ils verront que c’est même mieux que ce qui leur a été présenté"
Le candidat qui a du justifier son bilan durant toute la campagne électorale s'est ensuite rendu dans plusieurs quartiers afin de retrouver ses partisans à son QG.
Un nouveau système électoral, une incertitude supplémentaire
400 000 Surinamiens qui sont appelés à voter aujourd’hui. Ils le font pour la première fois dans le cadre d’un nouveau système électoral. Le vote ne se fait plus par circonscription, mais à l’échelle nationale, avec le même nombre de voix nécessaires partout dans le pays pour un siège au parlement.
Au total, 51 places sont à la clé. Ces représentants déterminent ensuite qui sera président pour les cinq prochaines années.
À l’instar du reste de la population, les observateurs sont prudents : la mise en œuvre du nouveau système électoral proportionnel, qui transforme l’ensemble du pays en une circonscription unique, ajoute une couche d’incertitude.
Et comme aucun des partis principaux ne semble en mesure d’atteindre seul la majorité absolue de 26 sièges, une période de négociations post-électorales s’annonce presque inévitable. Dans ce scénario, les plus petites formations pourraient devenir faiseuses de rois, en échangeant leur soutien contre des postes ministériels ou des engagements politiques précis.
C’est justement pour éviter cette dépendance que le VHP du président sortant Chan Santokhi affirme viser la majorité absolue.
Cinq partis dominent la scène politique actuelle :
1. VHP (Chan Santokhi) : mise sur la continuité économique, la discipline budgétaire
Le VHP, dirigé par Chandrikapersad "Chan" Santokhi, est le parti au pouvoir depuis 2020. Longtemps perçu comme une formation représentant la communauté indo-surinamaise, le parti a progressivement évolué vers une plateforme plus multiethnique, en tentant de fédérer au-delà des appartenances communautaires.
Ancien commissaire de police et ministre de la Justice, Santokhi a été élu président sur la promesse de lutter contre la corruption et de remettre l’économie sur pied après les années Bouterse. Son gouvernement a mis en œuvre des mesures d’austérité impopulaires, poursuivi la restructuration de la dette et promu la transparence dans les marchés publics.
Mais ces politiques, bien que saluées par les bailleurs internationaux, ont aussi suscité des critiques intérieures, notamment sur le coût social de certaines réformes. Pour 2025, le VHP affiche un objectif clair : obtenir la majorité absolue afin d’éviter les blocages liés aux coalitions.
Si Santokhi reste au pouvoir, chaque Surinamais recevra une part de 750 dollars américains (environ 660 euros). Ils peuvent retirer cet argent immédiatement ou l’investir avec un intérêt annuel de 7 %. Santokhi promet que chaque Surinamais bénéficiera directement des revenus pétroliers.
2. NDP (Nationale Democratische Partij) – Jennifer Geerlings-Simons
Le NDP, parti fondé par l’ex-président Dési Bouterse, entre dans une nouvelle ère avec Jennifer Geerlings-Simons en tête de liste, depuis le décès de son fondateur en 2024. Présidente de l’Assemblée nationale de 2010 à 2020, Simons apporte une image de stabilité, d’assurance et de fermeté au parti, qui reste l’un des plus influents du pays.
La plateforme du NDP repose sur un programme économiquement interventionniste et socialement redistributif, avec une volonté affichée de rapprochement stratégique avec la Chine. Le parti dénonce les effets négatifs des politiques d’austérité menées par le VHP et mise sur le mécontentement populaire. Elle a déclaré vendredi à ses partisans que le pays “n’a pas été sauvé, même pas un tout petit peu” au cours des cinq dernières années. Son parti prône un rôle majeur de l’État dans la supervision de l’industrie pétrolière.
Malgré les critiques liées à l’héritage de Bouterse, Simons tente de redonner un visage plus moderne et féminisé au parti. Toutefois, elle s’est montrée méfiante envers le processus électoral actuel, accusant le gouvernement de préparer une « fraude massive ».
Ashwin Adhin, ancien vice-président et parlementaire du NPD, a de grandes ambitions pour cette élection. Il a déclaré ce matin après avoir accompli son devoir de citoyen :
“Je suis engagé à 1000% à la présidence. Il est difficile de prédire à l'avance comment se déroulera la journée, mais il espère que le NPD sortira vainqueur”.
Selon Adhin, le Suriname a un besoin urgent d’un nouveau leadership politique. Il soutient que le gouvernement actuel a tout détruit, de la politique sociale à l’économie, et que la production est également au point mort. Souriant et visiblement plein d'espoir, il quitte le bureau de vote avec sa femme et ses gardes du corps.
3. NPS (Nationale Partij Suriname) – Gregory Rusland
Le NPS, l’un des plus anciens partis du pays, est dirigé par Gregory Rusland, ancien ministre des Ressources naturelles. Historiquement proche de la communauté afro-surinamaise, le NPS se positionne aujourd’hui comme le parti du développement durable et de l’innovation économique.
Le programme du NPS met l’accent sur :
- La lutte contre la corruption institutionnelle,
- La création d’un fonds souverain pour encadrer les recettes issues du pétrole,
- L’exploration de solutions alternatives comme l’adoption du Bitcoin pour renforcer l’indépendance monétaire.
En dehors des considérations ethniques, le NPS cherche à séduire une nouvelle génération d’électeurs préoccupés par la transparence, l’environnement et les questions numériques.
4. ABOP (Algemene Bevrijdings- en Ontwikkelingspartij) – Ronnie Brunswijk
Fondé en 1990 par Ronnie Brunswijk, l’ABOP s’est imposé comme une force politique majeure auprès des populations noires marronnes, notamment dans les districts de l’intérieur comme Marowijne, Brokopondo et Sipaliwini. Il conserve également une influence transfrontalière, notamment chez les Surinamais vivant en Guyane, le long du fleuve Maroni.
Ancien chef rebelle et vice-président en exercice, Brunswijk reste une figure controversée : condamné dans le passé pour trafic de drogue, il conserve néanmoins un fort soutien populaire dans les zones historiquement marginalisées. Pour beaucoup, il incarne une forme de résistance et de représentation communautaire, malgré les critiques de la classe moyenne urbaine.
L’ABOP milite pour :
- Une meilleure inclusion économique des régions reculées,
- Le développement des infrastructures rurales,
- La justice sociale pour les communautés oubliées de l’intérieur du pays.
Brunswijk est aussi un acteur clé potentiel des négociations post-électorales, que son parti soit minoritaire ou incontournable.
5. PL (Pertjajah Luhur) – Bronto Somohardjo
Le PL, historiquement lié à la communauté javanaise, a connu récemment un changement de direction. Bronto Somohardjo a pris la tête du parti après la retraite politique de son père Paul Somohardjo, à peine une semaine avant l’élection. Cette transition familiale illustre la continuité dynastique, mais aussi un renouvellement de génération.
Le PL axe sa campagne sur :
- L’éducation comme moteur de développement,
- La justice sociale et les droits des travailleurs ruraux,
- Une volonté d’équilibrer les inégalités territoriales.
Un scrutin sous haute surveillance
L’élection se déroule sous l’œil attentif des missions d’observation internationales, notamment de la Caricom et de l’OEA. En conférence de presse, Dora James, cheffe de la mission Caricom, a précisé :
« Nous nous sommes entretenus avec le président du Parlement, des groupes d’intérêt, des chefs religieux et des représentants politiques. Nous observerons aussi la sécurité et les conditions dans lesquelles les électeurs vont voter. »
Délégation OEA, Organisation des Etats d'Amérique
Si l’histoire se répète, il faudra peut-être attendre plusieurs jours avant de connaître les résultats définitifs. En 2020, ils avaient mis dix jours à être publiés. Mais cette attente reflétera sans doute la complexité d’un scrutin qui pourrait déterminer la direction économique et géopolitique du Suriname pour les années à venir. Alors que les premières exploitations pétrolières offshore se profilent à l’horizon, le prochain président sera donc très surveillé sur la gestion des bénéfices de la rente pétrolière.
Les bureaux de vote sont ouverts depuis ce matin à 7 heures précises et fermeront à 19h.