themes/default/item_post.html.twig

Un projet de loi fait avancer la lutte contre les discriminations capillaires

Avancer dans la pénalisation des discriminations fondées sur le physique et en particulier les cheveux, c'est l'objectif du projet de loi déposé par le député Guadeloupéen Olivier Serva, co-signé par une soixante de parlementaires dont les députés de Guyane et largement adopté par l'Assemblée nationale le 28 mars dernier.

  • Par: alicehartemann
  • Date:

"Un trou dans la raquette législative"

Interpellé par la journaliste guadeloupéenne Guylaine Conquet qui, ayant arrêté de se défriser les cheveux “se trouvait laide”, le député Olivier Serva se saisit du combat et le rapproche d’une décision de la Cour de Cassation concernant un steward d’Air France, sanctionné pour avoir refusé d’appliquer un règlement lui interdisant le port de tresses, même nattées comme elles l’étaient autorisées pour les femmes.

Si la loi valide alors la discrimination dont il est victime (au bout de 10 ans de procédures), elle ne le fait qu’au regard du traitement inégalitaire sur la base du genre qui lui a été appliqué. C’est le “trou dans la raquette législative” que repère le député Serva, pour reprendre ses mots, pour qui la vraie discrimination est faite sur la base des cheveux du stewart.

S’ensuit alors un long parcours d’un peu plus d’un an, d’écriture, de lobbying et de recherche pour faire adopter le texte à l’Assemblée.

Concrètement, le projet de loi vise à "reconnaître et à sanctionner la discrimination capillaire" en modifiant le code pénal, le code général de la fonction publique ou encore le code du travail pour y insérer des mentions spécifiques à" la coupe, la couleur, la longueur ou la texture" des cheveux. Si en France, la démarche est novatrice en la matière, ce n’est pas le cas ailleurs dans le monde. Par exemple, aux Etats-Unis, les lignes législatives ont déjà bougé. Il s'inspire en effet du "CROWN Act", un texte porté par la sénatrice californienne Holly J. Mitchell et adopté dans son état pour interdire les discriminations basées sur le style et la texture des cheveux. Si la loi n’a pas été votée par le Sénat américain, elle s’est cependant répandue dans une douzaine d’autres États.

Une réponse législative à des traumatismes socio-historiques

La différence notoire entre la France et les Etats-Unis, ce sont les statistiques ethniques qui permettent aux Américains de conduire des études précises sur les personnes victimes de ces discriminations et leur appartenance ethnoculturelle. Celles-ci révèlent par exemple que l’âge moyen à partir duquel les petites filles afrodescendantes font face à des retours négatifs sur leurs cheveux est de 5 ans, s’ensuivant une vie marquée par un “traumatisme” réel, selon le député guadeloupéen Olivier Serva, à l'initiative du projet de loi : 

“Ce sont des traumatismes pour toute la vie. Ceux qui disent que ce sont des questions secondaires, que ça ne nous concerne pas, c’est faux. Ceux qui disent cela ont des cheveux caucasiens, qui ne sont ni blonds, ni roux.”

Ainsi, en France, le texte présenté à l’Assemblée Nationale vise également à défendre les personnes blondes et rousses, victimes elles-aussi des préjugés de la société européenne dans laquelle elles évoluent pour le cas de la France, hérités d’une longue histoire de stéréotypes à l’égard de ces personnes.

“Il y a aussi des blondes qui doivent se teindre en brun pour progresser au sein de l’entreprise, et des roux qui doivent faire la même chose.”, rappelle le député LIOT. 

Dans la sphère publique, il est encore stigmatisant pour de nombreuses personnes de porter leurs cheveux naturels. Selon les études menées par le collectif CROWN aux Etats-Unis, plus de 20% des femmes afro-américaines ont déjà été renvoyées chez elles sous prétexte que leur coiffure n’était pas jugée acceptable dans le milieu professionnel. Un problème rencontré en Guyane également, cette fois-ci dès le plus jeune âge, certaines écoles interdisant des coiffures qu’elles ne jugent pas appropriées.

Pour Olivier Serva, la question de l’acceptation des cheveux naturels est un travail qui doit se poursuivre au niveau scolaire et qui “induit une prise en charge pédagogique et psychologique au sein de l’école”.

Le combat ne fait que commencer

Et il est loin d’être terminé. Le texte doit maintenant être validé par le Sénat, pour lequel il faudra rassembler une majorité. A noter que la signature du projet de loi à l’Assemblée Nationale s’est faite de façon transpartisane; à l’exception du Rassemblement National, tous les bords politiques ont été approchés.

Malgré l’engouement médiatique autour de cette adoption, Olivier Serva reste quant à lui réaliste face aux freins institutionnels et systémiques auxquels le problème fait face. 

“Je n’ai fait qu’apporter une toute petite pierre, une pierre symbolique à l’édifice, mais ceci doit être amélioré par une condamnation effective des gens et des entreprises qui pratiquent la discrimination capillaire. Savez-vous combien de condamnations pour discrimination physique (ont été enregistrées) en 2020 ? Zéro.”

Or, les dynamiques ne manquent pas pour faire évoluer la lutte contre les discriminations. En juillet 2023, le député Renaissance Marc Feracci, a déposé un projet de loi visant à permettre à l’Etat de “mettre en œuvre de tests de discrimination de nature statistique” afin d’identifier les entreprises qui pratiqueraient des discriminations à l’égard de leurs salariés ou à l’embauche, et ce afin de protéger activement les personnes qui s’en sentiraient victimes. Un projet de loi ambitieux et soutenu par le député guadeloupéen, mais retoqué par le Sénat et qui a largement perdu de son essence d’origine.

Ce risque, Olivier Serva le sait, c’est que son texte ne passe pas en l’état la barrière sénatoriale. Mais l’objectif reste le même : arriver à un dispositif législatif qui permette à quiconque de déposer plainte pour discrimination capillaire, avec à terme des condamnations réelles. S’il aboutit intact, le texte de loi prévoierait que les entreprises ou personnes condamnées pour discrimination capillaire risqueraient jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende.