Un taux très élevé de grossesses précoces pas sans conséquences en Guyane
« Sur les 8 100 naissances comptabilisées en 2019, 1 059 proviennent de mères âgées de moins de 20 ans. C'est dix fois plus que dans l'Hexagone et 40 fois plus chez les moins de 15 ans », constate le Dr Nadia Thomas, gynécologue-obstétricienne au Centre hospitalier de Cayenne.
Chaque année, une cinquantaine de filles de moins de 15 ans mènent une grossesse à terme, selon les statistiques du centre. Ces grossesses ont souvent pour dénominateur commun le manque de perspectives et une grande précarité. L'âge des premiers rapports sexuels est en moyenne de 15,6 ans en Guyane contre 17,5 ans dans l'Hexagone, selon l'Agence régionale de santé (ARS).
De plus, « le rapport à la contraception, vécue comme une contrainte, est compliqué », complète Adrien Guilleau, sage-femme de la Protection maternelle et infantile (PMI), qui cite également « la pauvreté, le faible niveau d'éducation, les inégalités entre les sexes, les normes communautaires » pour expliquer ce phénomène.
Pour la Dr Nadia Thomas, l'explication, « c'est surtout le manque de perspectives ». « A Maripasoula (sud-ouest de la Guyane), un bassin de vie de 20 000 habitants dont la moitié a moins de 25 ans, il n'y a pas de lycée ! Ça veut dire qu'après 15 ans, on ne propose rien aux jeunes », s'insurge-t-elle.
« Statut pourri »
« Ado en échec, c'est un statut pourri, alors que mère c'est valorisé socialement et culturellement », assure la gynécologue. La grossesse permettrait ainsi aux adolescentes désireuses de s'émanciper de leur famille d'acquérir un statut symbolique voire matériel, avec les aides sociales, car avoir un enfant offre une position dans la société guyanaise où l'organisation familiale est centrée sur la mère.
Malgré un recours très important à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), en particulier chez les 15-17 ans qui ont le plus fort taux national (18,3 pour 1 000 femmes contre 4,5 dans l'Hexagone et 12,2 dans les territoires ultramarins), toutes les adolescentes enceintes n'avortent pas et elles ne bénéficient pas toujours d'un bon suivi médical.
Or être enceinte avant 15 ans génère des complications. « On observe plus de prématurité et davantage de nourrissons de petit poids. La mortalité infantile est plus importante puisque 2,4% des bébés vont mourir. C'est autant que pour les femmes âgées de plus de 40 ans », déplore Nadia Thomas.
Les chiffres du Réseau Périnat, une association médico-sociale, attestent d'un environnement peu propice à un bon suivi médical : 10% des 240 jeunes filles accompagnées par l'association en 2022-2023 portent des enfants issus d'un viol, 35% ont subi des violences, 50% n'ont pas de papiers et vivent en état de précarité économique (logement insalubre, manque de nourriture) et psychologique.
Vulnérabilités
Ces fragilités sont souvent aggravées par la grossesse, estime Audrey Gonneau, du Réseau Périnat. « 90% des filles que je suis ont des problèmes sociaux et une vulnérabilité économique. 0% sont en formation, 0% sont en emploi », observe cette éducatrice spécialisée de formation. Ainsi, de nombreuses jeunes filles ne retournent jamais à l'école après avoir eu un enfant.
En 2017-2018, 20% des collégiennes en situation de grossesse ont été déscolarisées. Plus les femmes font des études, plus l'âge du premier enfant recule, a souligné le démographe Claude Conan, qui a mis en exergue le lien entre le niveau d'instruction des femmes et leurs intentions de fécondité, dans sa thèse en 2018.
A l'inverse, avec un enfant à charge, difficile de retourner dans le système scolaire et ensuite d'obtenir un diplôme ou un emploi, observe l'anthropologue Isabelle Hidair-Krivsky. D'après ses recherches, « il y a une incidence sur l'accès à l'emploi. Le taux régional du chômage des femmes est de 44% ». « C'est le plus important de France, ce qui induit une grande précarité et des difficultés de transmission dans l'éducation. »
Les femmes représentent 51% de la population guyanaise mais 57% d'entre elles ne sont titulaires d'aucun diplôme, ajoute Isabelle Hidair-Krivsky, qui est également déléguée régionale aux droits des femmes. « Il faut montrer aux femmes que l'on peut être autre chose que maman dans la vie », recommande le Dr Nadia Thomas.
AFP