Ces communes qui perdent des habitants
Sur le littoral, c'est le cas à Sinnamary, Iracoubo ou Régina. Des communes sans tissu économique solide. Eloignées des centres économiques, elles se vident un peu plus chaque année. Reportage dans les Savanes
Pour beaucoup de Guyanais, Iracoubo est une ville-étape, sur la route entre Cayenne et l'ouest. Les automobilistes ne s'y arrêtent que pour faire une pause, le temps d'un en-cas. Jean-Guy, 37 ans, y réside depuis 13 ans. Faute d'offres d'emplois, il vit d'expédients, au jour le jour. Attendant sa commande devant la maison d'un vendeur de wassai, il décrit une commune qui semble endormie.
« Il n'y a pas de développement, pas de mouvement, je fais mes petits jobs, je coupe les cheveux, je me débrouille bien ».
Mais cette existence ne lui convient pas, il espère quitter Iracoubo pour s'installer ailleurs. Il n'est pas le seul à projeter son futur dans une autre commune.
De l'autre côté de la RN 1 qui coupe le bourg en deux, Firmin traverse la place. Il a le même profil que Jean-Guy. Petite trentaine, des jobs irréguliers qui lui permettent de vivre. Il veut déménager, même s'il ne sait pas où il pourrait s'installer. « Je ne resterai pas éternellement à Iracoubo », assure-t-il. De nombreux jeunes partagent cette envie de partir vers Kourou, Cayenne, voire vers l'Hexagone. Depuis une vingtaine d'années, Iracoubo ne cesse de perdre habitants. Elle en comptait un peu plus de 2 000 en 2009, 1931 cinq ans plus tard et 1 729 en 2020 selon les chiffres de l'Insee.
Ces nombreux départs inquiètent Céline Régis, le maire d'Iracoubo :
« Ça m'embête en tant que citoyenne, et puis maintenant en tant que maire, car je suis encore plus près des problèmes. Les habitants s'adressent directement à moi quand ils sont en souffrance, beaucoup me disent qu'ils veulent travailler tout en restant [à Iracoubo] ».
L'absence d'emplois au cœur de la baisse démographique
Dans cette commune des Savanes, la mairie est le premier employeur, avec une cinquantaine de salariés. Le fonctionnement annuel de la collectivité engloutit 2,1 millions d'euros par an sur un budget de 2,4 millions. Parmi les autres pourvoyeurs d'emplois : « il y a deux ou trois entreprises privées, après c'est l'Education nationale, mais même certains agents [de l'Education nationale] habitent à Sinnamary ».
A 30 kilomètres, cette paisible commune connaît pourtant le même sort. 3 196 habitants en 2009, 2 855 en 2020. Là encore, le manque de travail et la poursuite des études pour les jeunes sont les principales raisons des départs.
« C'est le phénomène normal des communes où il n'y a pas trop d'emplois, commente Christian Clet, le premier adjoint au maire, les jeunes sont obligés de partir, il n'y a pas de lycée à Sinnamary. Une fois qu'elles ont terminé le collège, ces personnes partent trouver une vie ailleurs ; et bien souvent quand on part, on a du mal à revenir ».
Depuis 2020 et le dernier recensement de l'Insee à Sinnamary, la population russe d'environ 300 personnes qui travaillait au centre spatial a fait ses valises à cause des événements géopolitiques. En revanche, pour la première fois, les réfugiés hébergés à l'Hôtel du Fleuve ont été pris en compte dans le recensement de 2024.
Ces défections d'habitants n'ont pas qu'un impact démographique, cela concerne aussi les finances communales. « La DGF (dotation globale de fonctionnement, ndlr) est versée en fonction du nombre d'habitants », rappelle Christian Clet. Quand la population baisse, la DGF aussi. Celle de Sinnamary a fortement reculé entre 2018 et 2020, passant de 403 899 à 320 627 euros, avant de repartir à la hausse les années suivantes. En 2023, elle était de 377 911 euros.
Un risque de vieillissement de la population
Pour Philippe Dorelon, le directeur territorial de l'Insee Guyane, ces collectivités en perte vitesse démographique risquent de voir leurs populations vieillir si le phénomène persiste. « Dans ces communes, il y a toujours un solde naturel positif, donc plus de naissances que de décès », analyse-t-il. Mais si la part des jeunes continue de diminuer, « il peut arriver des situations de solde naturel négatif, comme aux Antilles, même s'il y a encore de la marge », tempère Philippe Dorelon.
A Sinnamary comme à Iracoubo, les élus veulent éviter de telles extrémités. « Il y a moyen d'inverser cette tendance, on y travaille ardemment, promet Christian Clet, on a la carrière de Corossony qui va se mettre en place ». Il prévoit une soixantaine d'emplois qui dynamiseront la commune en espérant que les futurs embauchés résident sur le territoire de Sinnamary. Céline Régis compte aussi enrayer la perte d'habitants :
« l'équipe municipale se bat pour que nous restions à l'équilibre, voire que nous gagnions une dizaine [d'habitants supplémentaires] ».
A présent, l'Insee traite les chiffres des derniers recensements qui se sont achevés en février dans plusieurs communes guyanaises.